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texte explosant-fixe

La sculpture, ça n’existe pas. Ce qui existe, c’est une mise en rapport de points, et ce qu’il importe, c’est de faire dialoguer ces points, les faire converger sans pour autant les dissoudre ou les perdre par effet d’homogénéisation. Une série de gestes qui consistent à agencer, englober ce qui ne s’assemble pas naturellement, à créer des zones de rapprochements entre ces points singuliers, les mettre en évidence et les relier, les faire advenir ensemble, qu’ils se transforment dans une nouvelle forme, laquelle les remplit sans pour autant les identifier. Alors quelque chose peut naître et s’élever, non pas par régulation mais par adjonction de matériaux non miscibles, non malléables.

Cette mise en forme, ce serait traduire, en acceptant que l’opération de traduction procède par variation ou oscillation, qu’elle émette des va-et-vient entre connaître et sentir, entre projeter et douter, qu’elle induise des élucidations nouvelles grâce à la mise en place de tout un appareillage de questions qui restent encore en suspens. Questionner le lieu où ça se touche, aiguiller et se rendre à l’endroit de la jonction possible. Là où commencerait un regard à se construire et une sensation à s’insinuer.

La plus simple des perceptions ne se forme-t-elle pas au doute de la chose perçue ou au désir pour cette chose ? On désire et on ne pense pas avoir peur puisqu’on lâche et que l’on accepte de perdre le contrôle. Ce qui bouge, c’est la matière-même. Une forme est toujours entendue depuis la périphérie, c’est à dire depuis là où elle se déplace, impalpable, ce avec quoi elle flirte. Se mouvoir, sculpter, c'est passer d’une forme à son envers et c’est aussi rythmer, sauter d’un intervalle l’autre, et prendre le pouls du rythme de l’air avec la matière. Une forme est alors préhendée, engendrée dans cette matière : une forme informe la matière même.

 

On accède ainsi à Marie-Madeleine pour engager la traduction d’une présence sculpturale, d’un tout composé d’entités contraires, ensemble mais imaginées, perçues comme se confrontant à la frontière d’une différence, pour les faire entrer en dialogue. Dialoguer sur ce qui représente l’envers de l’unicité, l’autre face cachée d’un monde, prostrée dans l’ombre, peu convenante et donc ambivalente. Cette région du monde aux goûts contradictoires et opposés. Marie-Madeleine : une femme plurielle, une sculpture polysémique, on la soumet à l’épreuve du socle. On la voit maintenant de partout, il n’y a qu’à en faire le tour. On lui rend sa part d’animalité, sa façon de se tenir, animale, sa manière de ne pas faire que voir ou entendre, sa posture de bête sauvage qui la sauverait de l’infamie humaine.

On définit une position, elle-même entendue par et pour ce qu’elle génère. On articule un langage pour que cette position déterminée vienne à la rencontre des points d’application d’une force sur une autre, à l’instant où c’est encore intacte et pluriel, et donc en construction. On tente d’être toujours en construction pour ensuite aller au-delà, convoquer et rejoindre des multiplicités. La part d’irréductibilité dans ce geste de former ? Infiniment absente. Si vraiment quelque chose doit advenir, ce n’est qu’au contour des périphéries. Car ce sont des mélanges qui donnent à voir la forme, tout est affaire de mélanges. Certaines proximités s’annulent, d’autres se multiplient, et toujours ça se mélange. Et on découvre quantités de mouvements inédits, alors, dans le mélange, ce qui vient remplir des couches, cette matière à recouvrements, qui procède en tant qu’agent extérieur ou corps étranger pour venir corrompre et requalifier.

Ce n’est pas là, on ne le voit pas, mais la rencontre des matériaux, elle, elle est là. On ne voit jamais pleinement, on ne peut pas tout voir. Sculpter insiste à voir, pour voir, et fait voir. Aménager des visibilités, l’instauration d’un champ de visibilités. Une répartition de la lumière et de l’ombre, de ce qui vient au jour et de ce qui résiste à venir au jour, fatigué, figé, ayant perdu de sa rigueur. Avant de sculpter, ce qu’on travaille c’est la lumière. Faire voir tout ce qu’on est capable de voir. Aller chercher derrière, pour voir. Donc un corpus de  gestes machiniques qui font voir quelque chose qu’on ne pourrait pas voir sans eux ni hors d’eux. La visibilité est inséparable d’une espèce de processus gestuel, une fois dit que voir, ce n’est pas simplement l’exercice empirique de l’œil mais constituer des visibilités. C’est une montée au jour de couches de stratification.

Et c’est vraiment comme une sorte de danse. Le geste que l’on voit en danse est déjà terminé quand on commence à l’entendre. La danse précède, on reconnaît une forme que l’on connaît déjà, que l’on reconnaît dès lors qu’on la modèle. On l’assemble pour pouvoir la reconnaître. Et cela surgit selon différents types de recouvrements : recouvrement de sculptures qui viennent en charger d’autres, recouvrement d’images, recouvrement dans des dessins selon de petits traits qui s’étendent et s’interposent sur d’autres petits traits, recouvrement d’émaux qui viennent couler comme des mousses enneigées pour brouiller toute figuration possible, recouvrement sur des grands murs noirs avec des dessins non fixés de poils, de traits à la craie qui dégoulinent jusqu’au sol. Cette mise en forme, elle viendrait donc de la conjugaison de trois entités sensibles : un doute/désir de la chose perçue + une action-intervention + un tempo ou rythme. On atteindrait enfin à une présence.
 

EXPLOSANTE - FIXE

texte de Frank Smith, décembre 2017.

A partir de dialogues entre Frank et Gabrielle.

Extrait du catalogue "AMBIVALENTE" de Gabrielle Wambaugh, Galerie Municipale Jean-Colet, Ivry-sur-Seine, 2018.

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